Mon histoire ? Je vais la raconter, elle n’a rien d’extraordinaire. Jusqu’à l’âge de dix ans, je n’ai connu la vie qu’à l’orphelinat en Australie. On m’a toujours dit que ma mère m’y avait laissé pour mon bien, pour me protéger, parce qu’elle n’avait pas les moyens de s’occuper de moi. D’accord. Pourtant j’espérais toujours la voir venir me chercher. Je l’imaginais avec de longs cheveux bruns et des yeux en amandes. Je ne l’ai jamais connu. Aujourd’hui je n’ai qu’une mère. Nous ne sommes peut être pas lié par le sang, mais par le cœur. C’est tout aussi important.

Ils sont venus me chercher, un matin. Nos regards se sont croisés. J’avais une mère, un père et même un frère de quatre ans mon aîné. Yun Su. Pour la première fois, j’avais une famille une vraie. Des repas qu’on prenait tous ensembles, une chambre rien qu’à moi, des fêtes. Ils habitaient à Brisbane depuis plus de cinq ans pour le travail de mon nouveau père, mais tous originaires de Séoul. Une partie de mes origines.
Une nouvelle vie s’offrait à moi, des moments de bonheur et je me sentais aimé. Bien sûr qu’on se chamaillait entre frères mais en très peu de temps je m’étais attaché à lui, comme si on s’était toujours connu. Mon meilleur ami, mon confident, il ne m’a jamais laissé tomber.

A l’école j’étais doué, j’aimais étudier, travailler. J’étais plus ou moins populaire. J’ai commencé à jouer de la guitare, puis du piano, un peu de violon. La musique est apparue dans ma vie. Et je crois qu’elle m’a sauvé aussi. C’est grâce à la musique que j’ai remonté la pente. Je ne pensais pas que ma vie tournerait de cette façon.
Nous étions jeunes quand nous avons eu cet accident de voiture. J’avais 17 ans et mon frère 21. Je n’oublierai jamais ce jour. Ce fameux jour où j’ai découvert l’enfer.
On est allé à un concert, un soir en douce. C’était une si belle soirée, jusqu’à ce que le camion arrive en face de nous. Je ne me souviens plus vraiment à part que tout était réduit en miettes.

Moi je me suis réveillé à l’hôpital, mais pas lui. C’était de ma faute. C’était moi qui l’avais poussé à sortir ce soir la. Il n’était plus là. J’étais mort à l’intérieur. Et la, j’ai commencé à devenir quelqu’un que je n’étais pas, à fréquenter de drôles de personne. Je me suis mis à boire, beaucoup, à fumer et à toucher à la drogue. Je suis tombé dans ce cercle vicieux. A cette époque, je n’en avais plus rien à foutre. Je me tuais à ma façon, je me dégradais. Mon frère me manquait. C’était ma punition pour l’avoir tué.
On se battait même pour savoir qui aurait la seringue. La pire période de ma vie. Je ne rentrais pas tous les soirs, je faisais pleurer ma mère.

Mais ce soir la, j’ai comprit. J’ai comprit que je foutais ma vie en l’air. Quand je suis entré dans sa chambre, que j’ai respiré son odeur, tous les souvenirs de notre enfance. Yun Su ne serait pas fier de moi s’il me voyait comme ça. J’avais honte de ce que j’étais devenu. Je ne pouvais pas m’en sortir tout seul.
Avec l’aide de mes parents, j’ai fait un séjour en hôpital, afin de tuer cette sensation de manque. Quelque chose avait changé en moi, je n’étais plus l’enfant souriant et plein de vie. Pour compenser le vide, je me replongeais dans la musique.

J’avais 19 ans quand nous sommes partis en Corée. Pour la première fois, je découvrais le pays de mes origines, celui de ma mère et sûrement de mon père. Heureusement j’avais apprit la langue, mais la culture m’étais complètement inconnu. Ce n’était pas évident de s’intégrer. Je suis allé à l’université, mais je n’étais décidément pas fait pour les études.
J’ai tout plaqué et j’ai simplement dis, un soir en rentrant à la maison : Je veux travailler avec les enfants.
Je pensais que c’était le meilleur moyen pour combler ma peine, être entouré de tous ces petits êtres innocents et plein de tendresse. Une façon de tourner la page et de commencer une nouvelle vie pour empêcher tout dérapage.
J’ai suivit une formation et me voilà aujourd’hui assistant maternelle. Un travail de femme en général mais j’assume entièrement ce choix qui m’a sûrement sauvé.

J’avoue qu’aujourd’hui mes sourires ne sont pas toujours sincères et je ne laisse presque personne entrer dans ma vie et me connaître. J’ai des gens autour de moi mais personne qui ne sache réellement ce que j’étais auparavant. J’essaye de devenir quelqu’un de bien, de m’améliorer, mais ce n’est pas évident quand on a le reflexe d’envoyer se faire voir tous ceux ayant assez de courage pour s’intéresser à moi.
Je ne participe à aucune fête, je ne vais plus dans les bars. Je me fais violence pour ne pas craquer parce que je sais que si je fais le moindre faux pas, je replongerai dans cet enfer. Le temps passe, les souvenirs restent, la douleur aussi.
Je suis du genre à avoir plus de défauts que de qualités. Un gros râleur de merde jamais content, qui passe son temps à critiquer les autres. Je n’aime pas que l’on me tienne tête et je m’énerve en un rien de temps. Je suis capable de couper entièrement les ponts avec une personne à cause d’une simple remarque désagréable. Je suis pire qu’un gosse. Je le sais.
En revanche quand je travaille, j’ai l’air d’être un autre homme, passionné et vivant.